"Les organisateurs nous ont oubliés pour la finale"
12e, 10e, non qualifiée, 10e, non qualifiée. Le bilan de l’Equipe de France U18 à l’Euro dans les années 80 tenait du chemin de croix. Avant une légère embellie en 1990 à Groningen. Un jeune entraîneur, Jean-Pierre de Vincenzi (33 ans) dirige une équipe où figurent plusieurs éléments prometteurs. Antoine Rigaudeau, Stéphane Risacher et Yann Bonato terminent à la 7e place de la compétition continentale. "Nous étions un peu déçus mais d’un autre côté on sortait de 20 ans de disette donc 7e c’était une première étape", se rappelle le coach de l’époque. "Tout ça n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat d’une politique fédérale avec la création des pôles espoirs et des centres de formation."
Au sortir de l’Euro, JPDV reprend une nouvelle génération avec laquelle il va travailler pendant presque deux ans. "Il nous fallait une défense de fer et 12 mecs capables de rentrer et sortir à tout moment à la mode universitaire américaine. Tu rentres tu sors, tu fermes ta gueule." L’effectif fluctue en fonction des états de forme et des sautes d’humeur des uns et des autres avant de prendre sa forme finale quelques semaines seulement avant le déplacement en Hongrie, à Budapest. "Des joueurs sont arrivés au dernier moment, notamment Olivier Saint-Jean. Geneviève Guinchard avait poussé pour qu’on le teste. David Lesmond est carrément venu me voir au culot pour être évalué à nouveau alors qu’il n’était plus dans le groupe."
La troupe met le cap à l’Est pour s’installer dans un établissement que la légende présente… comme un hôtel de passe. "La légende du bordel…", sourit Jean-Pierre de Vincenzi. "Le trait est un peu grossi. Disons qu’il se passe plein de choses dans un hôtel. Là ça faisait un peu hall de gare, beaucoup de passage, beaucoup de bruit." Mais les Bleuets ont dans leur manche un atout de poids. Le chef de délégation n’est autre qu’Yvan Mainini. Celui qui va devenir quelques semaines plus tard le Président de la FFBB est un arbitre référence et une personnalité particulièrement respectée à la FIBA. "Il nous a fait déménager sur les hauteurs de Budapest dans un centre de préparation olympique de saut à ski." Bien installés dans leur nouveau pied à terre, les Bleuets débutent un Euro pas tout à fait comme les autres. La carte du basket européen a été redessinée avec l’explosion de la Yougoslavie et de l’URSS qui s’étaient partagées 13 des 14 précédents titres. Grâce à trois succès en quatre rencontres, la France accède en demi-finale en pratiquant un basket tout en débauche d’énergie. "Les gars avaient accepté une préparation d’enfer. Le coach grec était venu me voir à un match amical pour me dire : mais vous ne tiendrez jamais à ce rythme !", remarque Jean-Pierre de Vincenzi, qui retrouve justement cet homologue dans le dernier carré.
Une rencontre au couteau que les U18 avaient préparé en ciblant Nikos Ekonoumou, l’intérieur plaque tournante des Hellènes. Philipe Giralt est missionné pour le ralentir. Mission accomplie mais à quatre secondes du buzzer la Grèce mène de deux points, 75-77. Temps-mort tricolore et Yann Barbitch, comme au tableau noir, dépose le ballon dans le cercle pour cinq minutes supplémentaires. "Je me tourne vers le coach adverse. Les bras lui en tombent et je me dis que c’est tout bon pour la prolongation." La France file en finale pour y retrouver l’Italie, championne en titre.
Un adversaire qui, comme d’autres, prend la France de haut. Le basket tricolore n’est pas une référence chez les jeunes et la victoire des Transalpins de 24 points en poule les conforte dans leurs certitudes. "Dans leur esprit ils pensaient qu’ils allaient nous tartiner", assène Jean-Pierre de Vincenzi qui va vivre une expérience inédite le jour de la finale. "Les organisateurs nous ont oubliés. On a dû prendre des taxis ! Yvan Mainini, encore une fois, est intervenu et a réussi à négocier du temps d’échauffement en plus." Un contretemps qui ne perturbe finalement pas des Français emmenés par un trio sudiste décisif. Yann Barbitch, Laurent Foirest et Laurent Sciarra inscrivent chacun 21 points et en s’appuyant sur un système avec quatre extérieurs, renversent totalement la rencontre en deuxième mi-temps (51-33).
Une bande de doux dingues, qui livreront une troisième mi-temps tout aussi exceptionnelle, viennent de faire irruption dans le concert du basket européen. "Les mecs s’en foutaient, on pouvait leur mettre n’importe qui en face", estime leur entraîneur. "C’est l’équipe avec laquelle j’ai le plus pris mon pied… Moi je leur parlais toujours de la génération 71. Les 71 faisaient ceci, les 71 faisaient cela. Après la finale on fait la photo. J’étais devant accroupi. Sciarra m’appelle. Je me retourne. "Hey, Jean-Pierre : les 71 ! Et il me fait un bras d’honneur." Ils ont dû se dire que je n’allais plus les faire chier avec les 71. Mais c’était tellement mignon." Des juniors 92, Olivier Saint-Jean deviendra Tariq Abdul-Wahad, le premier joueur français à évoluer en NBA. Laurent Foirest, Laurent Sciarra et Cyril Julian seront de l’aventure olympique de Sydney en 2000. Mais c’est bien lors de cet été hongrois que le basket français a pris un virage et appris à gagner.