American touch
Il pose d’entrée les bases de la discussion. "En NBA les assistants ne s’expriment pas." Kenny Atkinson n’a pas l’intention de se mettre en avant. Mais l’attrait de la nouveauté, combinée à son statut d’ancien (308 matches dirigés avec les Brooklyn Nets) et désormais nouveau head coach en NBA, en font naturellement un sujet de discussion autour de l’Équipe de France.
L’homme a beau peser plusieurs dizaines de millions de dollars, il s’est aisément intégré à un staff aux habitudes bien établies, respectant le dress code quotidien, jouant les rebondeurs ou les passeurs lors des shootings, rejoignant untel ou untel à la musculation ou discutant des différences culturelles lors des repas. En français s’il vous plaît. "Tout le monde a été si accueillant", sourit-il. "Ce sont des gens très humbles. Personne n’a voulu défendre son territoire. Au contraire, ils ont ouvert leur esprit, discuté. Ils ont été très patients par rapport à mon français. Et je merde souvent ! Je fais plein d’erreurs."
Clin d’œil improbable de l’histoire, il a retrouvé, lors du premier rassemblement à l’INSEP, le kinésithérapeute des Bleus, Serge Krakowiak, qui officiait à Montpellier lorsque Atkinson a débarqué pour la première fois en France, en décembre 1999. Ce meneur costaud, sorti de Richmond en 1990, avait déjà 32 ans et une carrière de globe-trotter derrière lui entre la CBA, l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. La parenthèse française s’étalera sur cinq saisons à Montpellier, Golbey-Epinal, Mulhouse, Evreux et Nantes. Sa carrière terminée, c’est toujours dans l’Hexagone que le New-Yorkais se lancera dans le coaching, comme assistant de Gordon Herbert, champion du Monde avec l’Allemagne l’été dernier, au Paris Basket Racing.
20 ans plus tard, il a gravi tous les échelons. Avec une ambition évidente et une vision claire du chemin à suivre. "J’avais une stratégie, un plan. Et je sautais sur toutes les opportunités. L’EuroCamp à Trévise, Basketball Without Borders un peu partout dans le monde." Atkinson développe son réseau… et son investissement paye. Même si, à quelques jours près, son histoire aurait pu suivre une tout autre route. "Après le départ de Gordon Herbert, Antoine Rigaudeau (ndlr : le nouveau directeur sportif du PBR) m’a proposé un contrat de trois ans pour rester à Paris. On cherchait des appartements avec ma femme, je pensais que mes enfants allaient naître en France. Et une offre des Houston Rockets est arrivée au même moment. J’ai appelé pas mal de personnes qui m’ont dit que c’était peut-être une chance qui ne se représenterait pas."
Un pied dans la porte NBA, en charge du développement personnel dans le Texas, il n’a plus quitté l’univers US. Aux Knicks, puis aux Hawks il a accompagné Mike D’Antoni et Mike Budenholzer avant de se voir offrir le poste d’entraîneur des Nets en 2016. L’expérience durera plus de trois saisons. Redevenu assistant aux Clippers (où il a côtoyé Nicolas Batum) pendant un an, Atkinson a ensuite remporté le titre avec les Warriors de Steve Kerr en 2022.
Lorsque, à la sortie d’une Coupe du Monde ratée, l’Équipe de France a souhaité ajouter une touche NBA à son staff technique, c’est vers lui que la DTN s’est tournée. "Nous voulions quelqu’un avec une expérience NBA mais qui connaissait également parfaitement le basket français et européen. Kenny cochait toutes les cases", explique Jacques Commères, le directeur des Équipes de France et de la performance. "Même si Boris Diaw est très proche des franchises NBA comme General Manager, que Vincent Collet fait des déplacements, il semblait intéressant d’avoir un regard totalement imprégné de l’univers des joueurs." Le GM des Bleus a de suite entamé les discussions. "Mon premier contact c’était avec Boris Diaw", rembobine Atkinson. "Il m’a expliqué ce que la Fédération recherchait." Sa réponse ? "Hell yes !" Après avoir connu une expérience avec la Géorgie et l’Ukraine comme assistant, puis dirigé la République dominicaine au Tournoi des Amériques 2015, c’est avec la France qu’il s’est donc engagé, même si son été international aura été largement bousculé par sa nomination à la tête des Cavaliers le 28 juin, quelques jours après le premier rassemblement à l’INSEP. "Lors de mon entretien avec les Cavs j’ai été très honnête quant à mon engagement avec l’Équipe de France. Et ils ont parfaitement compris et ont estimé que ça m’aiderait à devenir un meilleur coach. Ils m’ont encouragé." Depuis, il a été contraint à deux aller-retour vers les États-Unis. Le premier pour sa conférence de presse d’introduction. Le deuxième pour superviser les Cavs à la summer league de Las Vegas.
Si la NBA s’est largement ouverte aux joueurs étrangers, les bancs de touche ont mis plus de temps à se "globaliser." Mais les vannes sont désormais ouvertes. Dans les deux sens. A Orléans, l’Espagnol Jordi Fernandez, nouveau coach des Nets, dirigeait le Canada où officie également le Sénégalais Boniface N’Dong (Nuggets). L’Australien Matt Nielsen accompagne Victor Wembanyama toute l’année aux Spurs et retrouve son pays lors des compétitions internationales. "Les bonnes organisations estiment que c’est un excellent outil de développement", précise Kenny Atkinson. "C’est une situation gagnant-gagnant pour la NBA et les équipes nationales. Au moment des entretiens, ce qui me séparait des autres coaches c’est justement ma carrière, mes expériences à l’étranger. Et les équipes NBA cherchent ce côté multiculturel. Quand j’ai été nommé, Adam Silver (ndlr : le commissionner NBA) m’a envoyé un texto pour me féliciter. La NBA pense global."
De son côté, l’Américain a vu dans cette proposition française un moyen de continuer à gagner en compétence. "Je dois encore m’améliorer comme entraîneur." Au cœur du groupe France, les joueurs ont, unanimes, salué son côté vocal. "La joie. Steve Kerr insiste énormément sur ce point. C’était un élément central de notre culture aux Warriors. Il ne faut jamais oublier pourquoi on joue au basket, parce que c’est fun. Parfois ici c’est tellement sérieux… mais j’aime cette rigueur !" La rigueur et la richesse tactique du basket européen. "Il y a six concepts de l’Équipe de France que je veux appliquer en NBA, j’en ai déjà parlé aux coaches en Summer League."
À l’inverse, Kenny Atkinson observe avec le sourire quelques modèles difficilement transposables à l’univers US. L’ensemble de la délégation habillée à l’identique chaque jour, les repas pris systématiquement en commun à des horaires précis, les poignées de main échangées chaque matin, autant de détails insignifiants pour beaucoup mais "qui ne marcheraient jamais en NBA. C’est une Ligue où l’indépendance prime, même si des coaches comme Greg Poppovich ont fait évoluer les choses. Il y a eu un changement d’approche par rapport à la nécessité de mettre du liant entre les joueurs." La puissance économique d’une Ligue qui vient de signer un contrat télé de 76 milliards de dollars place également ses pensionnaires dans un environnement parfois éloigné des standards internationaux, malgré les efforts consentis par les fédérations. "On revient aux sources, aux basiques", insiste Atkinson. "Nous sommes pourris gâtés en NBA. Tu n’es pas au Four Seasons et alors ? J’étais au Mercure quand j’étais en Pro B… Non à l’Ibis. Et je partageais ma chambre avec un coéquipier !"
En Équipe de France, c’est au milieu du staff de Vincent Collet qu’il a pris place aux côtés de Ruddy Nelhomme (assistant depuis 2010) et Pascal Donnadieu (assistant depuis 2017). Le patron des Bleus a passé une semaine à San Francisco pour poser les bases de leur fonctionnement. Pas de rôle spécifique sur l’attaque ou la défense mais un apport sur la construction des séances d’entraînement puis l’analyse du jeu : "C’était incroyable et ça m’a permis de m’éduquer sur les joueurs et le système qu’on voulait mettre en place. Aujourd’hui Vincent utilise certaines de mes suggestions. Parfois on débat. Et c’est très bien. Il y a des détails sur lesquels on n’est pas d’accord et on essaye de se convaincre mutuellement. Il est très ouvert et l’alchimie est très bonne avec le staff."
Un staff qui a dû procéder à bien des ajustements depuis le début de la préparation. Le déficit de scoring des arrières, l’absolue nécessité de servir des intérieurs dominants dans de bonnes conditions, le défi de jouer avec des tours jumelles. Autant de problématiques qui peuplent les pensées de Kenny Atkinson, en attendant de s’interroger sur la meilleure utilisation de Donovan Mitchell ou la mise en avant d’Evan Mobley à la rentrée.