"J’ai découvert ce jour-là ce qu’était la peur de gagner"
C’était au milieu de la nuit en France. Comme dans un rêve finalement. France – Etats-Unis en finale des Jeux Olympiques. Une affiche improbable 15 jours plus tôt mais rendue possible par la transfiguration des Bleus, passés du statut de moribonds à ressuscités en l’espace d’une semaine. Face à l’Australie, en demi-finale, les Tricolores ont livré un récital pour s’offrir un deuxième round contre des Américains vainqueurs en poule (106-94). C’est l’épilogue idéal d’une aventure débutée en 1996 avec les qualifications pour l’EuroBasket. Jean-Pierre de Vincenzi avaient alors ouvert les portes de la sélection à une nouvelle génération avec dans un coin de la tête la perspective de Sydney.
La première sortie de ce nouveau groupe avait tourné à la Bérézina par la faute d’une invraisemblable cascade de blessures. La seconde, en France, avait été marquée par la qualification pour les Jeux, la première depuis 1984, mais également quelques tensions internes. JPDV prendra donc ses responsabilités en se passant délibérément du seul joueur français de NBA, Tariq Abdul-Wahad, pour le rendez-vous australien. Une compétition préparée avec soin, notamment sur le plan physique. "Les autres équipes étaient arrivées trop tôt en Australie. Elles étaient cuites au moment d’aborder la deuxième semaine des Jeux. Nous, nous aurions pu encore jouer 2-3 matches après la finale."
Une fraîcheur décisive face au Canada et à l’Australie mais qui ne pouvait suffire contre l’ogre américain. Intouchables en 1992 et 1996, les stars NBA ont cependant connu un gigantesque coup de chaud en demi-finale, les Lituaniens ayant eu une balle de match sur la dernière possession (85-83). Mais l’aura qui les entoure semble intacte aux yeux des Français. "Nous sommes rentrés dans le match avec la peur de prendre une branlée", concède Jean-Pierre de Vincenzi.
Sans sombrer, la France ne semble pas en mesure de réaliser l’irréalisable. 32-46 à la pause, 56-72 à huit minutes de la fin, les Américains, mains en haut du guidon, maîtrisent les débats. Et puis Cyril Julian surgit au rebond offensif, Laurent Sciarra règle la mire. Et le momentum, cher aux joueurs US, change de camp. Lorsqu’Antoine Rigaudeau fait mouche à 6,25 m face à Kevin Garnett, la France a conclu un 14-4 en quatre minutes qui peut lui permettre de penser à l’or olympique. Le Roi retourne vers son banc le poing rageur et les yeux fous. L’inimaginable devient possible. Le fantasme à portée de mains. "Rudy Tomjanovich était blanc comme un linge", insiste Jean-Pierre de Vincenzi à propos du coach double champion NBA avec les Rockets. "Pendant les temps-morts nous avions un process : 20 secondes aux joueurs pendant que le staff discute, 20 secondes au capitaine, 20 secondes au coach. Et là je ne sais pas pourquoi mais j’ai pris la parole avant Antoine. Quand on retourne sur le banc je sens que les joueurs ne sont pas dedans." Dans la foulée les Bleus abandonnent deux rebonds offensifs, perdent des ballons et sont crucifiés par un Garnett étincelant. Leur chance est passée. "J’ai découvert ce jour-là ce qu’était la peur de gagner", sourit JPDV. "Ai-je pensé qu’on allait les battre ? Sur un malentendu, oui…"
L’Equipe de France s’incline finalement 75-85. Elle vient cependant de réaliser le plus grand exploit de l’histoire du basket français. Sans Yann Bonato rapatrié sur Paris après une rupture du tendon d’Achille, Laurent Sciarra, Moustapha Sonko, Antoine Rigaudeau, Makan Dioumassi, Laurent Foirest, Stéphane Risacher, Jim Bilba, Frédéric Weis, Cyril Julian, Thierry Gadou et Crawford Palmer montent sur le podium des Jeux Olympiques pour recevoir leur médaille d’argent. L’aboutissement d’une carrière.