Villeneuve d'Ascq, squad de trublionnes
En partance l'été prochain pour le championnat des magnats du pétrole en Russie, Laurent Buffard, l'actuel entraîneur de l'US Valenciennes, s'est quelque peu laissé aller cette semaine. Dans les colonnes de l'Equipe, le futur coach d'Ekaterinbourg a égratigné dans les grandes largeurs la Fédération française de basket, incapable selon lui de médiatiser une des meilleures ligues du continent et de développer une discipline au potentiel considérable. Un de ses principaux arguments concernait l'absence des grandes métropoles au sein de la Ligue, à la notable exception de Nice et de Montpellier.
«Déclic». A contrario, la région Nord - Pas-de-Calais en compte cinq, plus du tiers de l'effectif : Arras, Calais, Saint-Amand-les-Eaux, Valenciennes et Villeneuve-d'Ascq évoluent sur deux départements où l'on vénère le basket féminin. «Il y a ici une véritable politique de formation et un engouement sans équivalent dans le pays», plaide Kathy Wambe (25 ans), la meneuse de jeu belge de l'ESBVA, le club de Villeneuve-d'Ascq, l'équipe surprise de la saison régulière. Alors que l'exercice en cours promettait d'être incroyablement dense (voir Libération du 14 octobre 2006), qu'une demi-douzaine d'équipes rêvaient d'un sacre inaccessible jusqu'il y a peu, le mano a mano habituel entre Bourges et Valenciennes a finalement repris avec un invité surprise sur le porte-bagages. «Au départ, personne ne croyait en nous, évidemment, et on a vite eu envie de faire taire les sceptiques, justifie Fatimatou Sacko, intérieure ascquoise de 22 ans. Je crois que le déclic est survenu lors d'un match de l'intersaison contre Bourges où l'on menait de 15 points. Intérieurement, je me raisonnais : "Soit on est vraiment bien, soit Bourges a un gros problème."»
Au-delà des Berruyères, ce sont toutes les équipes de la ligue féminine qui vont connaître quelques difficultés face au squad nordiste. Eliminé piteusement en quarts de finale l'an dernier (malgré une belle phase régulière), l'ESBVA n'a pas modifié son effectif. Malgré l'immense perte d'Emilie Gomis, partie renforcer le glorieux voisin valenciennois, le club du coach Abdou N'Diaye recrute judicieux. Une suppléante pour l'explosive Kathy Wambe en meneuse de jeu, Bintou Dieme, l'intérieure serbe Ljubica Drljaca (28 ans, en France depuis sept ans) et Géraldine Robert, une ailière virevoltante au parcours chaotique. Née au Gabon en juin 1980, repérée sur des playgrounds londoniens par les Rhondda Rebels, une officine galloise championne du royaume, elle signe ensuite à Strasbourg en été 2005 grâce à Cathy Melain, l'internationale de Bourges, et à son agent : «Depuis que je suis arrivée au club, en août dernier, je suis impressionnée par la cohésion du groupe et par son état d'esprit. Notre collectif nous permet souvent de faire la différence en fin de rencontre.»
Escouade. Si, en début de saison, nombreux étaient les observateurs à voir les deux titans de la ligue féminine vaciller, peu de monde s'aventurait à miser sur la bonne étoile de Villeneuve-d'Ascq. Cette défiance qui perdure encore aujourd'hui, l'absence totale de pression et un état d'esprit que toutes les joueuses se plaisent à signaler ont contribué à faire de l'escouade d'Abdou N'Diaye une véritable machine de guerre. Meilleures gâchettes du championnat, les Nordistes s'appuient sur un rebond dominant et des contre-attaques vénéneuses. «On va plus vite que l'an dernier, et Géraldine [Robert] nous aide à être plus efficaces en fast breaks [contre-attaques, ndlr]. De manière générale, on joue plus juste et on est hyper collectives. Quand on doit faire quatre passes pour marquer, on les fait», détaille Kathy Wambe. «Contrairement à l'an dernier, on a cette fois cinq filles pour prendre les rebonds et lancer les fast breaks. Notre jeu est plus complet, même si on a encore des progrès à réaliser dans le jeu posé sur demi-terrain et en défense», renchérit Géraldine Robert.
Pont d'or. La défense. Ce sera le secteur clé si l'attaque mitrailleuse de Villeneuve-d'Ascq (77 points de moyenne) veut mettre fin à quatorze ans d'hégémonie des deux ogres. Les Nordistes encaissent en moyenne près de 11 points de plus que les deux clubs cultissimes, avec qui elles partagent la tête du championnat à deux journées du terme et des playoffs. «Dans l'ensemble, ce championnat aura été le plus ouvert que j'aie connu, assure Kathy Wambe. On peut perdre n'importe où...Comme personne ne croyait en nous et que l'appétit vient en mangeant, on vise le titre, bien sûr, même si avant cela on se doit d'assurer une des trois places de l'Euroligue...» Une compétition qu'elle aurait pu disputer l'an prochain avec Ekaterinbourg, qui lui a fait un pont d'or, via Laurent Buffard. Elle a préféré décliner la proposition du club de la rieuse cité russe qui égaye ses week-ends avec le championnat des tycoons de l'or noir.
Texte : Rico Rizzitelli (Libération)
Photo : Alain Cugier/ESBVA-LM