Le 3x3 à bras-le-Corre
Le parcours de Kevin Corre pourrait faire des émules. Après tout l’histoire est belle. Celle d’un joueur professionnel tombé amoureux du 3x3 en 2012 lors des Championnats du Monde en Grèce avec l’Équipe de France. À l’époque, il effectue une de ses meilleures saisons en carrière à Châlons-Reims, en Pro B, loin de savoir que cette nouvelle pratique va complètement modifier sa vision du basket. "Jamil Rouissi, ex-speaker à Nanterre et Levallois m’avait appelé tôt dans la saison pour me parler de tout ça. Il m’avait expliqué qu’à la fin de la saison 5x5, celle du 3x3 allait s’enclencher afin de préparer ces Championnats du Monde. C’était vraiment neuf pour moi, je n’avais jamais entendu parler de cette compétition. Quand il m’a parlé de l’Équipe de France je ne le croyais pas, je me disais que ce n’était pas possible" admet-il aujourd’hui. Médaillé d’argent chez les masculins et médaille d’or en mixte, le déplacement athénien est une franche réussite, tant collectivement qu’individuellement. Accompagné d’un groupe de joueurs avec qui il n’avait jamais évolué (Michel Jean-Bapstiste Adolphe, Meredis Houmounou, Karim Souchu), l’expérience s’avère être tout bonnement incroyable. "L’endroit
était superbe. On jouait devant un temple grec et la compétition était déjà très bien organisée. Le fait de ne pas avoir de coach avec nous sur le banc m’a tout de suite marqué. Il ne pouvait pas te dire de donner la balle à l’Américain comme on peut le voir dans le 5x5. Les joueurs sont beaucoup plus responsabilisés, tout le monde a un rôle important." Kevin Corre fait partie de ces précurseurs français dans le 3x3. Déjà appelé avec les Bleus en Équipe de France jeunes, sa convocation avec les A restera un souvenir unique et gravé pour toujours. "La sensation que tu ressens quand on te dit que tu vas porter le maillot de l’équipe nationale avec Corre écrit dans le dos est indescriptible. C’était comme dans un rêve. Une chose inoubliable pour nous, joueurs 5x5. C’était une superbe opportunité et ça m’a ouvert quelque chose de magique."
Les prémisses du World Tour
Kevin Corre continue alors d’écumer les tournois 3x3 l’été. Entre la fin de saison et la reprise de la préparation physique début août en club, le délai est court. Malgré tout, après une saison en Jeep Élite avec Bourg-en-Bresse en 2015, il reste en contact avec son coéquipier et ami Angelo Tsagarakis au sujet du 3x3. "Pendant l’été, on s’était appelé en se demandant si on voulait jouer tel ou tel tournoi pour le fun, pour kiffer un peu avec les copains. On avait joué l’Urban PB à Poitiers qui nous avait donné une place pour l’Open de France." Malheureusement, le joueur formé au Mans ne participera pas à la compétition. Néanmoins, son équipe la remporte avec à la clé un ticket pour une étape du World Tour, celle de Prague. "Angelo m’avait ensuite sollicité parce qu’un joueur ne pouvait pas y participer. J’avais accepté, c’était une découverte. Mais pour tout joueur français, l’accès au World Tour se fait seulement avec le championnat français. Tu joues en France, tu fais les différents tournois et ça te donne un ticket pour une des étapes en cas de victoire à l’Open de France." À ce moment, le système D rythme encore le train de vie de Corre et ses coéquipiers. L’investissement pour participer à des tournois est réel et le joueur dépense plus d’argent qu’il n’en gagne. "On s’appelait avec les copains et on se demandait si on pouvait participer selon ce qu’il nous restait sur notre compte. Combien ça coûtait pour aller à tel ou tel endroit, comment s’organiser par rapport à sa famille." Le facteur le plus important est alors le prix du billet d’avion. "À choisir entre aller à Budapest où le prix du billet était à 125 euros ou en Chine, le choix était vite fait." S’enchaînent ensuite au fil des années les tournois à Moscou, Ostende, Debrecen, Amsterdam ou encore Lausanne en 2018. Cette dernière expérience lors d’une étape du World Tour est alors révélatrice pour l’ancien joueur d’Aix-Maurienne. "Tous les tournois auxquels j’avais pris part à ce moment, c’était uniquement avec des joueurs avec lesquels je ne m’étais jamais entrainé. Il y a deux ans tu pouvais faire un petit résultat. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. À Lausanne je faisais équipe avec Anthony Christophe, Charles-Henri Bronchard et Dominique Gentil et on a vu que c’était impossible, tu te fais éclater."
L’idylle saoudienne
Approché courant mars cette année par l’équipe saoudienne de Jeddah et par son coach Slovène Ales Kunc, ancien joueur passé par Le Havre et Évreux au début des années 2000, Kevin Corre n’a pas mis beaucoup de temps avant d’accepter une proposition unique dans une carrière. "J’avais joué contre lui en 2017 sur un tournoi Challenger à Ljubljana où j’avais été très bon. Je pense qu’il m’a repéré à ce moment-là et j’ai été le premier joueur qu’il a appelé pour former son équipe. Il m’a prévenu assez tôt qu’il y aurait une opportunité cet été et il voulait savoir si j’étais prêt à la saisir." Vainqueur en 2016 et 2017 du World Tour comme joueur avec Team Ljubljana, présent depuis plus de dix ans sur les différentes compétitions, Kunc est le mentor idéal. "Il connaît bien le milieu, les organisateurs, les joueurs ou les différents tournois et il est surtout reconnu. Il nous guide là-dedans et c’est une grande aide d’avoir une personne comme lui. On le respecte avant de l’avoir rencontré." Alors que c’était Anthony Christophe qui gérait le côté organisationnel lorsque les deux compères jouaient ensemble, c’est désormais un coach chevronné et très au fait du système en place qui s’en occupe. Tout un symbole. "Il sait comment voyager et se remettre des décalages horaires. Par exemple, en Chine la nourriture est particulière donc nous y sommes allés juste avant le tournoi. Dans d’autres endroits on est parti 3-4 jours avant parce que c’était agréable et on pouvait s’entraîner là-bas", explique tout sourire le joueur de 34 ans.
En d’autres termes, le fossé est énorme entre ce que propose la Fédération Saoudienne et ce qu’il a pu connaître auparavant. Ayant obtenu les fonds nécessaires très tard, les joueurs ont passé leur première journée ensemble le 17 juillet alors que le World Tour était déjà bien entamé. À l’origine, Jeddah ne devait participer qu’à une étape du World Tour, celle que la ville organisait grâce à une wild card. L'équipe devait également prendre part à trois Challengers afin de se qualifier à deux autres étapes du World Tour. Défi relevé avec brio. Encore plus quand on sait que c’était la première fois que ces joueurs évoluaient ensemble. Au final, c’est à une belle 10e place au classement que terminent Corre et ses nouveaux comparses. Une fierté pour un pays où le 3x3 est encore une discipline complétement méconnue. "Pour eux c’est une véritable découverte. On a fait quelques tournois en Arabie Saoudite et les gens là-bas ne connaissent aucune règle. Ils ont besoin de joueurs qui peuvent apporter leurs skills afin de leur montrer la voie. On est aussi l’image du basket saoudien à travers ces tournois. Beaucoup de gens s’interrogent quand ils voient un drapeau de l’Arabie Saoudite et un joueur français, un Polonais, un Serbe et un coach slovène."
Et après ?
"Je souhaite rester dans le 3x3." C’est par ces mots que Kevin Corre évoque la suite de sa carrière professionnelle. À Jeddah, il a trouvé la situation idéale pour lui et sa famille. Alors qu’il peut découvrir le monde, s’ouvrir à d’autres cultures et jouer des tournois qu’aucun autre joueur français n’a faits auparavant. La puissance financière saoudienne est telle que cette option est vite devenue une évidence. "J’ai pu toucher des salaires beaucoup plus importants que ce que je pouvais avoir en Jeep Élite ou en Pro B. Des fois on s’arrêtait à l’étranger pour acheter un short d’entraînement et puis on sortait tous avec 500 dollars de vêtements payés par la Fédération." Pour autant, Corre n’a toujours pas signé de nouveau contrat afin de participer à l’édition 2020 du World Tour avec Jeddah. Cependant, le joueur reste confiant sur les suites de leur collaboration. À un stade de sa carrière où les récompenses individuelles ne semblent plus être sa priorité, il se dit désormais à la recherche "d’expériences différentes" afin "d’accomplir quelque chose humainement." Numéro un Français au ranking, son regard se porte également vers l’Équipe de France avec qui il pourrait être convoqué aux prochains rassemblements. Avant le début de la saison 3x3, il pourrait même signer dans un club d’Arabie Saoudite en 5x5. Un nouveau challenge original pour cet aventurier du basket.