Au bord du gouffre
Surmonter la déception. Oublier les images de ces lancers-francs qui butent inlassablement sur le cercle. Effacer de son esprit ces shoots en suspension de JR Holden qui transpercent le filet. Un défi de taille pour des Bleus qui se sont réveillés vendredi matin avec la gueule de bois mais qui ont eu la chance, dans leur malheur, de bénéficier de 24 heures de repos supplémentaires par rapport à leur adversaire du jour. Un temps précieux pour se remettre la tête à l'endroit et se rappeler qu'une victoire en match de classement ouvre une nouvelle chance de rejoindre Pékin et les Jeux Olympiques l'an prochain. Une source de motivation bienvenue dans l'environnement particulier d'un Palacio de Deportes quasiment vide et dont l'électricité à la table de marque a rendu l'âme après une minute de temps de jeu. Le match a ainsi repris dans la confusion la plus totale avec un speaker égrénant les secondes de possession au micro ! Surréaliste.
Les Croates s'accomodent mieux de ces conditions de jeu dignes de l'honneur départementale. En premier lieu le gigantesque Stanko Barac (2,17 m), drafté au deuxième tour cet été et signé par le Tau Vitoria. Une des révélations de l'Euro s'offre de multiples paniers près du cercle, vite imité par Marko Banic et Nikola Prkacin. Bref toute l'escouade intérieure s'amuse lors du premier quart-temps en signant un coquet 9/10 aux tirs alors qu'en face la France propose une vraie bouillie de basket. -8 après dix minutes, c'est un moindre mal. Lorsque l'écart atteint les douze unités, les Bleus se décident à monter la pression défensive. Le capitaine Boris Diaw, qui n'a pas hésité à endosser une partie des responsabilités du revers en quart et d'un tournoi globalement poussif, tente de donner du rythme et apporte un soupçon de créativité à l'ensemble. C'est l'occasion d'une brève embellie (26-29, 15e) mais le jeu collectif bien huilé des hommes de Jasmin Repesa reprend vite sa marche en avant. Fixations, passes, jeu dos au panier, des fondamentaux basiques et parfaitement récités. Prkacin qui a bâti toute sa carrière sur un seul mouvement (un petit hook main gauche après avoir enfoncé son vis-à-vis) en use et en abuse avec délectation et après un tir à trois-points au buzzer de Marko Popovic, la France est au bord du gouffre à la mi-temps (31-47).
Dès lors il ne reste plus qu'une solution, défendre comme des morts de faim et agresser sans relâche des Croates trop contents de dérouler leur jeu. C'est exactement ce que les Bleus s'appliquent à faire. Tous les déplacements sont contestés, le défi physique est de retour. Des ballons sont gagnés dans les mains ce qui permet de lancer du jeu rapide. Un 11-0 en moins de cinq minutes vient valider ce bon passage (42-47). La Croatie titube mais pas la petite machine à shooter Marko Popovic. Le meneur du Zalgiris Kaunas remet les siens dans le sens de la marche avec deux tirs lointains tout en maîtrise. Les joueurs au damier ont laissé passer l'orage sans paniquer. Claude Bergeaud tente d'installer une défense de zone ? Le dispositif est immédiatement puni par Popovic au-delà des 6,25 m (45-61, 29e). Il faut deux raids de Tony Parker, le premier pour un panier, le second pour une passe décisive, pour ne pas perdre totalement l'espoir (50-61).
Cette petite flamme qui brille encore dans l'après-midi madrilène va quasiment s'éteindre lorsque Popovic refait mouche à longue distance après deux minutes dans le dernier quart-temps. La France a beau lancer un pressing de la dernière chance, le coeur (et les jambes) n'y est plus. Les shoots sont systématiquement courts et tandis que la Grèce avait réussi un invraisemblable come-back la veille contre la Slovénie, rien de comparable ne se produit lors de cette triste journée. Florent Pietrus a beau continuer de se battre jusqu'à la dernière seconde dans une cause déjà perdue, les Bleus sont bien loin du compte (86-69). Dans la foulée l'Allemagne a pris le dessus dans la dernière minute sur la Slovénie, l'adversaire programmé dimanche à 14h00 pour la septième place.
Déclarations
Yakhouba Diawara : "C'est une énorme déception. Je pensais que l'on allait se remotiver après la défaite contre les Russes. En fait on se prend une grosse claque dès le début du match et ensuite c'est dur de revenir. Je l'ai déjà dit, tant que l'on ne jouera pas 40 minutes, on ne pourra pas gagner. On l'a fait uniquement en préparation. Je ne sais pas l'expliquer parce qu'on était dos au mur. Demain c'est le dernier match et si tu perds il n'y a pas de Jeux et en plus l'obligation de se qualifier pour l'Euro en Pologne en 2009. Pour réagir il faut se regarder dans la glace le matin, se remettre en question, du premier au douzième joueur. Sinon on rentrera chez nous très déçus. Personnellement j'ai toujours la flamme, des Jeux tu n'en fais qu'une fois dans ta vie peut-être."
Florent Pietrus : "J'ai du mal à trouver les mots. Je pensais que l'on montrerait un autre visage alors qu'encore une fois, l'envie est chez l'équipe adverse. On a ce qu'on mérite. Ce qui arrive aujourd'hui ce n'est pas le fruit du hasard. C'est à cause de nous et de personne d'autre. Maintenant c'est à la vie à la mort."
Claude Bergeaud : "C'est très embêtant parce que on gâche une chance supplémentaire. Quand on voit les résultats, cet Euro est vraiment très relevé et on ne sera pas dans la hiérarchie haute du classement. Je ne me polarise pas sur le résultat mais sur la qualité du jeu qui est à regretter. On joue avec l'énergie quand on en a besoin alors qu'il faudrait la mettre dès le départ. On joue trop normalement. Les joueurs européens affichent toujours une grosse détermination, ils font mal. On n'arrive pas à imposer ces choses-là. Ensuite notre attaque n'est pas du tout consistante et on se fait massacrer à l'intérieur en première mi-temps. En deuxième on tombe face à un talent comme en ont les Croates, capables de marquer dans des positions très lointaines. Et c'est dur à arrêter parce que l'on est pas à la hauteur de ce basket-là. Je pense vraiment que les joueurs rentrent déterminés et solidaires. Mais le niveau que l'on présente sur le terrain n'est pas suffisant pour contenir le basket qui nous est oppposé. En produisant 40 minutes ce qu'on produit par petites séquences, on ne serait pas loin. Tragique de ne pas être aux Jeux ? Il fait faire attention aux mots, au côté passionnel. C'est du sport. Nous sommes les représentants d'une nation en difficulté dans son basket. Il faut montrer une image comme en deuxième mi-temps où au moins il y a de la fierté, même si ça n'a rien changé. Demain il y aura la peur du vide. Il faudra avoir la trouille et ne plus être calculateurs, ce qu'on a trop fait depuis le début."
Par Julien Guérineau, Service de Presse FFBB, sur place à Madrid (Espagne)