Vous avez gagné de nombreux trophées collectifs et individuels au cours de votre carrière de joueuse, deux fois élue meilleure joueuse française de l’élite en 1995 et 1996, triple championne de France. Quelle saveur a ce trophée de meilleur entraîneur LF2 ?
C’est particulier parce que j’ai déjà été élue meilleure entraineur en 2005 avec Challes-les-Eaux en NF1, l’équivalent de la Ligue 2 aujourd’hui. On était montés en Ligue féminine cette année-là. Cela fait pratiquement 20 ans. C’est comme si la boucle était bouclée. En 2008, je crois que je finis deuxième (du scrutin) derrière Pierre Vincent. Maintenant, j’ai 61 ans. Cela veut dire beaucoup. La passion du basket est toujours là. La remise en question perpétuelle est toujours là. C’est une forme de reconnaissance qui perdure dans le temps. Ce qui me fait le plus plaisir c’est la centaine de messages que j’ai reçus, parfois d’anciennes coéquipières. Après cela, je me dis que je peux m’arrêter tranquillou (rires).
Que vous inspire cette longévité ?
J’ai commencé le basket à 8 ans. Je n’ai jamais arrêté le basket, jamais un week-end, jamais un été. Je pense que j’étais née pour ça, née pour faire évoluer les gens. C’est ma destinée. Ensuite, je dirais deux choses par rapport au fait d’être une femme, et d’avoir perduré aussi longtemps dans ce milieu. La première, pourquoi une femme ne pourrait pas avoir du caractère et ne pas être d’accord avec tout le monde ? Pourquoi un (Zeljko) Obradovic peut invectiver ses joueurs, les arbitres, etc… et une femme devrait être dans la retenue ? La deuxième chose : j’ai décidé depuis bien longtemps d’être uniquement ce que j’ai envie d’être. Cela m’a fermé des portes au plus haut niveau mais je n’aurais pas pu être différente.
Vous coachez depuis plus de 25 ans. Est-ce que la Corinne Benintendi de 2023-24 a changé des éléments dans son approche ? Êtes-vous une meilleure coach cette saison que vous l’avez été les saisons précédentes ?
Est-ce que je suis meilleure qu’avant ? Je ne suis pas sûre. Je pense que ma façon de voir le basket n’a pas changé. Mon approche, c’est le plus haut niveau possible quel que soit le niveau auquel je coache. Néanmoins, il a fallu que je m’adapte aux générations de maintenant, donc ma façon d’être est différente. Ensuite, cela fait maintenant 11 ans que je suis à Montbrison. Je m’approche de la fin, je veux donner le maximum et je vais à l’essentiel. Je fais abstraction de tous les aspects négatifs qui pourraient me polluer. La différence avec les jeunes coachs, c’est que là actuellement je n’attends rien si ce n’est de me faire plaisir et montrer que Montbrison peut exister à ce niveau-là.
Votre club possède l’un des plus petits budgets de Ligue 2. De fait, cela vous oblige à être performante pour trouver des perles rares à petit prix ?
Quand je recrute des joueuses, je fais des paris. Des fois, cela ne marche pas comme l’année dernière. D’autres fois, cela marche bien comme cette année ou quand on avait été demi-finaliste de Ligue 2. Bien sûr que j’aimerais avoir de très, très bonnes joueuses. Est-ce qu’on aurait de meilleurs résultats ? Pas sûr. Cette année, la difficulté est plus venue du fait d’avoir changé neuf joueuses. L’année prochaine, ce sera beaucoup aussi. Les gens se servent de Montbrison comme un tremplin. On ne peut pas rivaliser avec les budgets des autres, sachant que les joueuses jouent quand même pour l’argent. À Challes c’était pareil, quand on était en ligue, une ville de 3 000 habitants, ça ne nous a pas empêché de faire la coupe d’Europe. Les petits moyens, cela a toujours été un fil conducteur dans mon parcours. Moi-même je n’ai jamais joué pour l’argent. Je n’ai jamais changé de club pour une histoire d’argent. J’ai eu des propositions pour aller coacher plus haut, avec plus d’argent. J’ai besoin d’être bien dans le lieu où je suis avec les gens qui m’entourent. À Montbrison, on ne me n’ennuie pas et ça n’a pas de prix.
Vous avez déclaré « J’ai vite compris que par rapport aux années précédentes, je n’avais pas des joueuses en face de moi mais des compétitrices ». C’est une caractéristique que l’on ne peut pas vraiment anticiper…
Tout à fait. C’est ce qui fait beaucoup la différence entre les joueuses. Maintenant, ce côté compétitrice, il faut aller le chercher, les challenger à l’entraînement. Si cela répond, tant mieux. Je n’ai pas changé ma façon d’entraîner. S’il y a autant de résultats cette année, c’est grâce aussi aux joueuses. Kendall Cooper, qui finit MVP de Ligue 2, que personne ne voulait, qui a fait cinq ans en France, un an à Nice, un an à Calais et trois ans à Ifs, pourquoi ça passe avec moi ? Parce que je vais chercher des choses qui lui font prendre conscience de certaines choses.
Pouvez-vous décrire l’impact de Kendall Cooper dans la réussite de votre équipe ?
C’est une joueuse qui mérite de jouer en Ligue Féminine. J’espère vraiment qu’un club lui fera confiance parce qu’elle le mérite, et ce sera une très bonne joueuse de Ligue Féminine. Moi qui ai connu énormément de joueuses de haut niveau, c’est une joueuse à part. Les gens me disent, comment tu as fait ? Pour les gens, elle était feignante, elle n’aimait pas bosser, elle ne se donnait jamais à fond. Elle a porté le groupe, en jouant près de 40 minutes. On a besoin qu’elle reste sur le terrain autrement on n’y arrive pas. À un moment donné, elle s’est blessée à la cheville. Le médecin l’avait arrêté un mois et, au bout d’une semaine elle voulait rejouer. Ça n’a pas de prix. Contre Toulouse, elle prend une béquille, neuf joueuses sur dix auraient arrêté de jouer. Elle a joué sur une jambe et elle a été performante. Si elle ne joue pas, on perd. C’est un leader charismatique dans son investissement perso, et au niveau du groupe.
Finalement, vous avez vécu une saison sans accroc, presque une saison de rêve ?
On a perdu deux des trois premiers matchs. Sincèrement, cela m’avait fait beaucoup douter sur le moment et j’en avais parlé à ma présidente. Et puis les filles ont vraiment compris ce que j’attendais d’elles. On s’est mis à bien défendre. Depuis dix-neuf matchs, on n’en a perdu trois. On a continué à gagner malgré l’absence d’Emma Villas-Gomis sur les derniers matchs. Je me fais énormément plaisir.
En 2005, vous êtes élue entraineur de l’année avec Challes et vous montez. Cela serait un beau clin d’œil de récidiver en 2024 ?
Bien sûr. Maintenant, cela ne m’appartient pas. Je ne suis qu’un chef d’orchestre qui essaie que la mélodie passe bien. Ce que l’on fait est déjà tellement exceptionnel que cela me va bien. Mais nous, on veut le titre. On a l’avantage du terrain jusqu’à la finale. Il y a le feu dans notre salle. Quand un groupe a un tel esprit compétiteur, tu ne sais pas jusqu’où cela peut t’amener. Cela me fait dire qu’on peut aller jusqu’en finale, et après…