D’entrée le ton est donné. Première question. Première réponse. Cinglante. Les yeux dans les yeux. "Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que tu dis." Avec Janelle Salaün, oubliez les robinets d’eau tiède, les poncifs, les discours convenus. La jeune femme a du caractère et des convictions. Avec elle, pas de "groupe qui vit bien" et de "match pris les uns après les autres". L’ailière de Villeneuve d’Ascq est directe, franche et ne se cache pas derrière son petit doigt pour évoquer ses difficultés passées ou ses ambitions futures. Jean-Aimé Toupane en rigole : "j’adore sa personnalité." Et accessoirement son jeu. Conviée pour la première fois en Équipe de France en novembre 2022 à l’occasion d’une rencontre face à la Finlande à Saint-Chamond, Salaün s’était fendue de 12 points pour ses débuts. Quelques mois plus tard, elle était titulaire lors de la campagne européenne conclue sur une médaille de bronze à Ljubljana. Et lorsque les Bleues ont été frappées par une impressionnante vague de blessures pour lancer leurs qualifications à l’EuroBasket Women 2025, c’est elle qui a montré la voie terminant meilleure marqueuse de la fenêtre. Pour Janelle Salaün, le futur s’inscrit au présent : "Je me dis que je peux avoir un impact maintenant. Je suis réaliste, je sais que des joueurs ont un statut que je respecte. Mais je veux apporter ce que je sais faire. Sur une minute, cinq, quinze."
Une personnalité affirmée
Alors que Marine Fauthoux et Iliana Rupert, les deux autres membres de la génération dorée 2001, championne d’Europe U16 en 2017 puis finaliste de la Coupe du Monde U17 l’année suivante, ont rapidement installé leur rond de serviette en équipe nationale, Salaün a dû se montrer un peu plus patiente pour franchir le cap. "Je n’ai jamais trop voulu me projeter parce que plein de choses peuvent arriver sur le chemin", balaye-t-elle à propos des comparaisons avec ses coéquipières. "Dans les Équipes de France jeunes on a fait des résultats, j’ai performé mais ce n’était pas simple, notamment parce que je n’ai pas eu de supers feelings avec les entraîneurs." Où l’on revient au caractère et à la personnalité.
L’adolescente n’a jamais été timide et son passage au Pôle France entre 2016 et 2019 n’aura pas été un long fleuve tranquille. "Quand je n’aimais pas quelque chose, tout le monde le savait. Avec des joueuses d’expérience, j’ai appris que ce n’était pas toujours la bonne solution", rigole-t-elle, même si son cursus à l’INSEP a été au terme des trois ans habituels. "Je suis allée au bout. Par défi personnel. Je voulais prouver, ne pas abandonner." Une volonté également mise à rude épreuve lors de ses débuts professionnels. Sa première saison avec les Flammes Carolo, compliquée par le Covid, ne lui a pas laissé de grands souvenirs : "Ça s’est très mal passé à Charleville. Mentalement je n’étais pas au top. Et ensuite à Villeneuve d’Ascq j’ai fait le banc pendant une bonne partie de l’année. Petit à petit j’ai gratté des places et j’ai gagné la confiance de Rachid Meziane. C’était la période Covid et comme j’avais peu de temps de jeu j’ai beaucoup travaillé avec un jeune préparateur physique. Les résultats ne sont pas venus immédiatement. Rien ne se retranscrivait sur le terrain. Mais après le Challengers de l’été, j’ai commencé à vraiment exploser."
Après trois médailles consécutives en U16, U17 et U18 (bronze), Janelle Salaün conclut son parcours chez les jeunes à l’été 2021 avec les U20. Pas de championnat d’Europe mais un Challengers mis sur pied par la FIBA pour relancer des compétitions stoppées par la pandémie. A Konya, en Turquie, celle qui ne pèse que 3,1 points par match en LFB mène la France à cinq victoires et écrase la concurrence : 17,0 points, 10,2 rebonds, 2,0 passes décisives et 1,2 contre de moyenne. La machine est lancée. Dès la rentrée, elle s’impose comme une pièce maîtresse de l’ESBVA de Rachid Meziane. "Quand elle est arrivée ici c’était un peu l’année zéro de son projet", estime son entraîneur. "Elle avait beaucoup de détermination et d’ambition. Mais il faut être rentable et opérationnel. Je pense qu’elle a mis une année à essayer de découvrir et faire connaissance avec la Ligue Féminine. Pour faire connaissance aussi avec moi. Elle a appris à se connaître elle-même. On a fait un gros travail en termes d’introspection pour cibler un peu plus ses forces et ses faiblesses, sur la gestion émotionnelle pour mieux gérer les échecs et la frustration qu’elle peut générer."
Un bourreau de travail
De 11 minutes de temps de jeu, elle passe à 24 et triple sa production statistique. Jean-Aimé Toupane la convie à un rassemblement Équipe de France pendant l’été et en novembre 2022, elle effectue ses débuts chez les Bleus. "Quand je suis arrivée en pro j’ai vite compris que rien n’est acquis. Donc j’ai fonctionné par étape. Je ne me suis jamais dit que je n’y arriverai pas. Mais j’avais de nombreux doutes." Elle les a notamment écartés grâce au soutien indéfectible de sa famille et au travail entrepris avec un sophrologue. Un apport qui lui permet aujourd’hui d’exploiter pleinement un potentiel servi par une éthique de travail rare. "De toute ma carrière, Janelle fait partie des joueuses qui s’impose la plus grosse charge de travail", glisse Rachid Meziane. "Elle s’est inscrite dans un vrai process de développement et aujourd’hui, elle est récompensée et elle n’a pas fini. C’est une fille qui a vraiment faim et il faut la satisfaire." Si Salaün sourit à l’évocation d’une relation avec son entraîneur "qui n’a pas été linéaire", elle semble avoir aujourd’hui trouvé l’équilibre dans une équipe en tête de la LFB et qui dispute l’Euroligue.
Un équilibre également affiché avec les Bleues où Jean-Aimé Toupane l’a rapidement responsabilisée. "Les coaches ne sont pas comme lui dans nos clubs. Lui se fiche de ton âge, de ton statut. Tu es performante, vas-y. Ça fait du bien. C’est un bol d’air frais. Il nous met à l’aise. Surtout que je me nourris de la confiance des autres." La rookie de l’EuroBasket Women, rapidement propulsée dans le cinq majeur, n’a pas tardé à s’imposer. "C’était une première mais j’ai tout de suite eu des responsabilités même si je ne m’y attendais pas forcément. Le résultat n’était pas celui espéré mais j’estime que j’ai rempli une partie du job. Ça me conforte. Je sais que je n’étais pas attendue et même moi je ne m’y attendais pas. Mais à un moment il faut que j’arrête d’être surprise." Joueuse majeure dans un club de standing, son nouveau statut peut paraître logique. Mais Janelle Salaün, si "elle n’a pas peur" et "est capable d’assumer et de répondre aux attentes" n’oublie pas les difficultés de son parcours : "Je travaille énormément pour atteindre mes objectifs. Mais je n’ai pas eu un parcours facile. J’ai dû batailler. Pas grand monde n’aurait parié sur le fait que j’arrive en Équipe de France A. J’ai toujours eu ce côté underdog et ça me va très bien."
Débarquée dans une équipe qui ne vise que les sommets, Salaün représente à la fois une nouvelle vague qui doit maintenir les Bleues au sommet mais également une plus-value capable de faire franchir un cap à une sélection qui court après un titre européen depuis 2009 et a notamment buté à cinq reprises en finale entre 2013 et 2021. "Je les ai vues ces finales perdues", souffle-t-elle. "C’est dur même si je ne peux pas pleinement partager leur sentiment. Moi j’ai à coeur de faire changer les choses et tout donner pour gagner l’or." Une soif de succès en adéquation avec le potentiel que lui prête Rachid Meziane : "Si Janelle continue sur cette voie-là, elle pourra aller jouer dans les meilleures équipes d’Europe et du Monde. Elle est profilée pour ça. Je la vois faire une immense carrière que ce soit en club ou à l’internationale."